Porter la voix des sans-voix…

Deux livres que tout semble opposer… Un continent, l’Afrique. D’un côté, Chinelo Okparanta, écrivaine américano-nigériane. « J’écris pour donner de l’espoir ». De l’autre, Bessie Head, Botswanaise d’origine sud-africaine. « Je construis un escalier vers les étoiles. Voilà pourquoi j’écris. ». Deux écrivaines engagées. Deux militantes pour les droits humains.

Écrire, c’est aussi prêter sa voix aux plus marginalisés, porter leurs combats, crier leur désespoir… Voilà ce qui lie ces deux romans. Ils dépeignent des populations persécutées dans leurs pays et les représentent dans toute leur humanité.

Dans « Marou » de Bessie Head, il est question du peuple San (ou Bushmen, terme plus péjoratif). Cette population est considérée comme l’une des premières ayant peuplé l’Afrique australe. Traditionnellement chasseurs-cueilleurs et détenteurs de nombreux savoirs, ils sont aujourd’hui majoritairement présents dans le désert du kalahari au Botswana. Depuis la découverte de diamant dans cette zone et la prolifération des safaris, ce peuple est persécuté et parfois délogé par le gouvernement Botswanais. De plus, ils sont marginalisés par les populations qui les qualifient d’indigènes ou de sous-hommes.

A travers l’histoire de Marguerite, jeune San ayant été élevée par une anglaise, Bessie Head expose avec subtilité les discriminations dont est victime ce peuple. Mais plus important, elle leur redonne toute l’humanité qui leur a été retirée depuis l’époque coloniale…

« Et si l’homme blanc trouvait que les Asiatiques formaient un peuple inférieur, immonde, les Asiatiques pouvaient néanmoins sourire de soulagement – au moins n’étaient-ils pas des Africains. Et si l’homme blanc trouvait que les Africains formaient un peuple inférieur, immonde, les Africains en Afrique du Sud pouvaient néanmoins sourire – au moins n’étaient-ils pas les Boshimans. Tous, ils ont leurs monstres. Il vous suffit d’avoir l’air différent d’eux, la façon dont la physionomie d’un Intouchable ou d’un Tamoul diffère de la physionomie d’un Hindou de haute caste fait qu’on peut vous dire ou vous faire apparemment n’importe quoi, puisque votre apparence extérieure vous réduit au statut d’un être non humain» p.14

« Sous les branches de l’udala » traite de l’homosexualité au Nigeria. Lorsque Ijeoma rencontre Amina, c’est le coup de foudre. Un amour interdit dans un pays où l’homosexualité est pénalement répréhensible. Découvertes par la famille de Ijeoma, les deux filles sont soumises à un véritable exorcisme pour extirper le démon en elles…

Ijeoma est tiraillée entre ses sentiments profonds et sincères, les préceptes de sa religion et le regard méprisant de la société dans laquelle elle évolue. Elle est déchirée et mène une existence des plus malheureuses.

Ce livre m’a profondément touchée. Chinelo Okparanta a réussi à mettre des mots sur les maux dont souffrent ces populations. Elle met en lumière avec brio les dérives de l’intolérance et de l’instrumentalisation de la religion…

Si « Marou » est pour moi une œuvre importante du fait du message véhiculé, « Sous les branches de l’udala » est une œuvre magistrale de par le style de l’auteure, l’histoire racontée, la construction des personnages, les thèmes abordés et les émotions véhiculées. C’est simple, c’est un chef d’œuvre.

« Après Amina, j’ai pensé à maman, à nos études de la Bible, au sermon du professeur, à toutes ces menaces de lapidation. J’avais beau ne pas être convaincue par l’interprétation que faisait maman de la Bible, je ne pouvais réprimer l’angoisse qui montait en moi, ces idées obsédantes et frénétiques. »p.219

Avec passion,

Dyna.